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La fascination du X
Deux expositions
prévues :
a)
PONI VESTIGIA (janvier/jusqu’au
7 avril 2012) Où l’on cherche les traces du temps conjugué avec ceux de
la pierre et de l’artiste.
b)
LET THE ALTARS SHINE (juin
2012, à l’Espace Art Gallery, Rue Lesbroussart) en référence à Meat Loaf,
aux années 80 et aux autels/altars d’église. Exposition qui réunira trois
artistes et un sculpteur.
Poni vestigia
(Laisse des traces)
1. L’exposition « Poni
vestigia » (Laisse des traces)
L’exposition présente : a) Quatre
œuvres de la séquence
Soils and rocks
(jaune-brun). Les deux premières constituent une paire et se font la
réplique: ruines vues du ciel. Les deux suivantes se font également la réplique, la paire
des lamelles sidérales. b) Une œuvre
de la séquence
Lost world (rouge-brun
pompéien). Qui pourrait être vue comme un antre, une caverne, une
profondeur. c) Une œuvre
solitaire,
Solving Continuum VII. Qui pourrait se lire comme une résolution de la matière,
ou encore comme continuum de résolution de cette même matière. La sélection vient de deux thématiques : a)
Wall in the
opening (3 œuvres), faisant écho à la
symbolique des murs (à l’origine, le mur séparateur de Berlin), mais aussi à
la symbolique de tous les murs, notamment le mur qui s’érige insidieusement
entre l’homme et la femme, le mur de toutes les hontes, le mur de la peur,
le mur de la protection (comme celui qu’Israël a dû ériger entre son
territoire et le territoire palestinien)… L’artiste ajoute à son regard une
petite espérance qui laisserait se pratiquer une brèche dans chacun de ces
murs, une brèche d’optimisme. b)
Soils and rocks
(6 œuvres), œuvres qui reprennent l’essentiel des préoccupations actuelles
de l’artiste, la fissure, la fracture. Fissure au cœur de la matière,
fissure au cœur des personnages, de plus en plus indicibles, fissure au cœur
de l’artiste lui-même. D’où le choix des titres, qui s’opère un peu en
fonction du message perçu à la fois par le spectateur et l’artiste lui-même.
Chacun pourrait nommer les œuvres proposées en fonction de son propre abord
et de la matière et de l’œuvre. 2. Michel Marinus
L’artiste a à son actif près de 700 toiles numérotées et
comptabilisées. Les étapes qu’il a suivies au fil de sa création vont du
bleu au rouge toscan, qu’il qualifie parfois de pompéien ou encore de rouge
crétois. On sent actuellement chez lui une forte prédilection pour le brun
terreux entremêlé de rappels de rouges. Michel Marinus, en arrière de l’œuvre, est de plus en plus
dans la pratique de l’intuitif, de l’immédiateté. Moins de préméditation
donc. Il part de l’idée que c’est le regard de l’observateur qui doit
révéler l’œuvre. Ainsi, le regard de l’enfant pourrait lui-même être très
riche, s’il s’attardait sur l’œuvre, et voir ce que l’auteur n’a même pas
soupçonné. Idem pour le choix des coloris, malgré une nette orientation vers
les bruns et les rouges, et l’abandon du bleu. 3. Le cadre du
travail
Michel
Marinus peint et travaille sa matière dans un splendide atelier tout en
profondeur et en lumière. Résolument moderne, l’habitat qu’il a conçu en
fonction de ses aspirations de création lui offre paix et sérénité. Un
jardin très soigné monte en pente douce à l’assaut des arbres et du ciel. À
l’intérieur de sa cuisine-atelier, conçue comme une véranda plein sud, un
olivier enraciné en prise directe dans la terre symbolise l’attachement de
l’artiste à la nature originelle. Faisant la réplique à l’olivier, un
gigantesque
Monstera deliciosa de
trente ans veille depuis toutes ces années sur la création de l’artiste. 4. La fascination
du «X»
Parsemé à travers l’œuvre, apposé comme une autre
signature de l’artiste (celle par laquelle il ne veut pas se nommer), un
«X», qui pourrait indiquer l’inconnu, l’abstraction, avec un semblant de
symétrie dans le signe, toutefois. Il n’est pas étonnant que l’artiste ait
cet attachement pour une lettre précise de l’alphabet, qui n’est pas
n’importe laquelle, en effet. Le «X» est bien la lettre qui permet de
désigner et de décliner ce qui ne peut être nommé. Ce qui nous amène
automatiquement à la fascination de l’abstrait, de l’indicible, du non dit,
de l’attente déçue, de tout ce qui fait que le spectateur prend part active
à l’œuvre suggérée. 5. Du concret à
l’abstrait
Au départ, il y avait un personnage qui prédominait. Une
figure humaine, même si elle n’avait pas couleur humaine. C’était le bleu
auquel Michel Marinus nous avait habitués. Une couleur inhabituelle pour la
chair, certes, mais un authentique visage où chacun de nous aurait pu
identifier un rapport personnel avec la réalité de l’existence. Avec
l’évolution, la maturité et l’âge y faisant, Michel Marinus se détache de la
figure, du corps, et s’oriente vers la matière immatérielle, en sauvegardant
par-ci par-là un petit quelque chose de figuratif, un rappel de l’homme, de
la femme. Mais, à l’évidence, l’humain est désormais réduit chez lui à la
silhouette, à l’ombre, à l’idée même. Ce qui fait que l’imaginaire est
libéré d’office et se développe à force de regard. La lecture de
l’abstraction concrétisera l’œuvre et, d’une certaine manière, la
rematérialisera, lui rendra forme significative. En concrétisant l’abstrait,
le regard donne une vision vierge de l’objet exposé. L’œuvre est désormais
comme un film avec une fin ouverte, il faut que le spectateur continue le
film lui-même, à la place du « réalisateur ». En même temps, il faut que
l’œuvre résiste, garde quelque chose de secret, d’intime, à découvrir et
redécouvrir sans cesse. Michel a dû passer par trois périodes au moins, et,
à présent, son personnage se fige de plus en plus dans la matière. 6. L’investigation
de la pierre
Michel Marinus investit les
pierres qu’il met en scène comme un archéologue fixé dans le temps hors du
temps. C’est une plongée archéologique dans la matière qu’il tente à chaque
entreprise. Comme
s’il voulait se perdre dans la spirale du temps, en se demandant si le temps
existe, s’il n’est pas tout simplement une invention de l’homme… pour fixer
ses repères tout au long de sa petite vie. Ainsi, le temps de la création,
Michel Marinus remonte à sa manière aux origines de la matière. Une quête de
toujours, qui retourne chaque fois à la nature désertée. Le résultat est
impressionnant : l’œuvre devient chez lui l’approche permanente, le temps du
regard, d’un magma en gestation perpétuelle, vu du ciel ou vu du centre de
l’écorce terrestre, selon l’imaginaire possible de l’observateur. Au total, on est chez Michel Marinus à cheval entre le
sidéral et le centre de la terre. Entre l’orbe externe et le cœur de l’orbe. 7. Un point de
départ
Il arrive que Michel Marinus parte d’un point réel qui l’a
frappé, comme le site de Souakin (au Soudan?). Cet ancien port actuellement
perdu dans le désert présente encore un certain aspect d’une tentative de
canal entrepris à l’époque. Ce point de départ a donné lieu à une toile que
je voyais comme le cratère de Santorin mais que l’artiste voyait autrement.
Ceci pour dire que les toiles proposées par lui restent, pour une bonne
part, à la merci de la compréhension du spectateur. Ce qui donne lieu à une
analyse perpétuelle. 8. La technique
Michel Marinus pratique un technique mixte. Il opte pour
une peinture acrylique douée d’une apparence d’huile. L’avantage de son type
de peinture, c’est qu’il ne doit pas attendre plusieurs jours de séchage
pour passer à une étape suivante. Ce qui est le cas de la peinture à
l’huile. À l’inverse, sa technique impose une prise rapide, sèche au bout de
dix minutes. Ce qui signifie un rythme propre, à la meilleure convenance de
l’artiste. Un peu comme avec le principe de l’aquarelle, qui permet l’usage
de plusieurs couches au terme desquelles l’artiste dilue, polit, revient
plus ou moins à la couleur initiale. C’est dans le plus ou moins que se
trouve l’œuvre finale. Il faut savoir, d’ailleurs, qu’à l’initiale, le tableau
est uniforme. Puis, avec la patine du polissage, il prend son apparence de
relief. Les stries reviennent en polissant, le polissage aléatoire dépendant
du support et de l’exercice de la main. Tout un travail de temps,
d’appréciation, de retours en arrière. Pour avoir plus de relief, Michel
Marinus utilisera selon les occurrences un papier de soie, un morceau de
tissu, une toile de jeans, un reste de zinc, toutes choses disponibles à
l’instant. Il laisse d’ailleurs dans les environs de sa création, mélangées
à ses couteaux et rateaux, ces petites choses insolites qui finiront par
achever l’œuvre. 9. Le temps du
travail
La cohésion et l’unité sont dues aux époques libres de
l’enseignant. Même s’il ne peint pas pendant un mois, ce n’est pas grave, le
retour à l’œuvre se fait facilement. De la pause naît un nouvel élan, un
nouveau dynamisme. D’autant plus que le travail, on l’a vu, se fait dans la
spontanéité, avec des éléments familiers autour de soi, qui contribuent au
bien-être de la création. Il a tout à sa disposition, des toiles, des
papiers, des vieux dessins, il pioche pour improviser. Il compte sur
l’aléatoire, le hasard, ce qui contribue parfois à l’optimal. Il accumule
ainsi les détails ramassés à droite, à gauche. Quand il est bloqué,
insatisfait, en panne, il a l’opportunité de l’objet à sa disposition. Ce
qui ressemble aux réelles conditions de la vie – la peinture étant une forme
idéale de vie. Cette exactitude née pourtant de la spontanéité conduit à la
maturation de l’œuvre aboutie. 10. La fin d’un
tableau
Alors, la toute grande question : quand un tableau est-il
fini? La réponse est simple : au moment de la signature. Un tableau non
signé est un tableau non fini. Il faut parfois attendre deux ou plusieurs
mois pour considérer que l’heure de la signature est venue, l’heure du
vernissage. Le vernis légèrement satiné et brillant, qu’apposera au dernier
instant Michel Marinus sur l’œuvre terminée, avivera les contrastes tout en
protégeant l’œuvre. Ce vernis participe donc à la fin réelle de la création. 11. Œuvres
insatifaisantes
Pour terminer, notons que Michel Marinus ne jette jamais
aucune de ses œuvres, qu’il gardera en tout ou en particulier avec la
stricte idée de terminer l’œuvre un jour ou l’autre, en partant dans une
toute autre direction que celle prévue à la base. Remettant toujours sur le
métier une toile dont il n’est pas content, Michel Marinus ne se contente
pas ainsi d’estimer qu’il n’a pas échoué dans le projet, mais surtout il se
fait un devoir d’en récupérer un tout petit quelque chose. Il y a toujours
quelque chose de bon dans le raté, dans le mauvais. C’est un écrivain qui
disait cela d’un autre écrivain : il y a toujours quelque chose de bon à
trouver dans un livre, si mauvais soit-il. 12. Conclusion
Je me suis longtemps demandé ce qui amenait certaines
personnes, bien plus nombreuses que je ne le pensais, à opter pour de l’art
abstrait et à ne décorer qu’ainsi leurs appartements, leurs maisons. Je
crois que j’ai enfin trouvé la réponse dans ma dernière entrevue avec Michel
Marinus. Certes, le concret apaise et oriente du même coup le spectateur
dans une perspective voulue, celle qu’il a normalement choisie en accord
avec le peintre. Mais l’abstrait, en se refusant à toute détermination, y
compris celle du créateur, laisse un champ absolu à la réflexion, au progrès
de la réflexion. Et je dois avouer que, me promenant parmi l’œuvre de Michel
Marinus, voyant la manière dont il l’a structurée dans son propre intérieur,
je me suis senti une envie réelle de repenser mon propre univers, tant il
est vrai que le bonheur intellectuel naît de la recherche, non de la
certitude.
22.11.11.
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